La mission d'évaluation sur la lutte contre la contrefaçon remet son rapport ce mercredi 9 décembre. Les co-rapporteurs Christophe Blanchet (MoDem) et Pierre-Yves Bournazel (Agir ensemble) formulent dix-huit préconisations, en insistant sur le danger du phénomène et la nécessaire sensibilisation de la population.
En France, l’ampleur du phénomène de la contrefaçon est largement sous-estimé et il implique des conséquences graves, notamment pour la santé du grand public : tel est le constat, alarmant, dressé par les députés de la mission relative à la lutte contre la contrefaçon. Inscrite au programme du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) le 24 octobre 2018, la mission a réalisé, pour nourrir son rapport, dix auditions, six tables rondes et des déplacements à l’aéroport de Roissy, au port du Havre ou encore dans le quartier de Château Rouge, dans le 18ème arrondissement de Paris. Principale conclusion : outre la destruction de 30 000 emplois par an à l’échelle du pays, les Français, vice-champion du monde de la consommation de produits contrefaits, mettent aussi leur santé en danger.
Contrairement à une idée largement répandue, la contrefaçon, en effet, ne concerne pas que l’industrie du luxe, "les baskets Nike et les sacs Vuitton", indique l'un des deux rapporteurs, Christophe Blanchet, mais également les jouets, qui peuvent s'avérer le cas échéant dangereux pour les enfants car ne respectant pas toujours les normes.
Les parfums, les crèmes de soin, parfois frelatées, sont aussi concernés, mais aussi, fait particulièrement inquiétant, les médicaments, la plupart du temps vendus en ligne. Christophe Blanchet évoque des réseaux criminels "très réactifs, en avance sur notre temps" qui "commercialisent déjà des contrefaçons du fameux vaccin contre la Covid".
Les deux co-rapporteurs de la mission ont donc souhaité formuler "des solutions opérationnelles", à "un sujet d'une grande complexité", selon les termes de Pierre-Yves Bournazel, qui en tant qu'habitant et élu du 18ème arrondissement dit avoir constaté depuis des années "l'impuissance à lutter contre ce phénomène particulièrement visible dans l’occupation illégale du domaine public" et qui "finance de la criminalité et des organisations mafieuses".
"Je voulais qu’on sorte de l’aspect strictement économique", déclare quant à lui Christophe Blanchet, qui souhaite que les acheteurs prennent conscience de leur acte quand ils ont recours à de la contrefaçon. Car selon le rapport, "six Français sur dix achètent de la contrefaçon en conscience". "Cela revient à cautionner le travail des enfants", note le député du Calvados, avant de préciser que si, aujourd’hui, une grande part des produits contrefaits est fabriquée en Asie, l’Europe est également à l’œuvre, notamment pour la confection de cigarettes.
Six Français sur dix achètent de la contrefaçon en conscience. Christophe Blanchet
Pour ceux qui achètent de la contrefaçon sans le savoir, le rapport préconise de faciliter les plaintes judiciaires à la fois contre les réseaux physiques et les plateformes numériques.
Car si la France est passée de la 7ème place mondiale au titre de vice-championne du monde après les États-Unis en termes de produits contrefaits consommés, c’est bien en raison d’une demande. "On part véritablement de très loin", confie Christophe Blanchet, pour qui l’urgence réside dans "la responsabilisation de chacun, dont celle des plateformes, et la mise en place de moyens judiciaires adaptés". La contrefaçon rapporterait aujourd’hui "dix fois plus que la drogue, avec dix fois moins de chances d’être saisi", ce qui expliquerait que des réseaux criminels aient tendance à migrer vers la contrefaçon, et ce en dépit du travail mené conjointement par les douanes et les renseignements, et que les rapporteurs ont tenu à saluer.
Mais pour Pierre-Yves Bournazel, qui rappelle que la contrefaçon a "explosé" avec internet, c'est bien vis-à-vis des plateformes qu'il faut agir, en les incitant à être "responsables de ce qu'elles vendent", au risque qu'elles s'exposent à des procédures administratives d'avertissement, voire à des blocages de leurs sites en vertu du Code de la propriété intellectuelle.
Parmi les autres préconisations du rapport, les députés proposent l'instauration, au sein du code de la propriété intellectuelle, d'une amende à l’encontre des vendeurs de contrefaçon. Si la proposition de loi "Sécurité globale" contient une mesure permettant aux polices municipales de saisir le matériel de contrefaçon sur la voie publique, Christophe Blanchet a par ailleurs défendu un amendement, permettant aux forces de l'ordre de verbaliser, via des amendes forfaitaires, la vente "à la sauvette", de tabac contrefait. Le rapport de la mission d’évaluation propose également d’"étudier la possibilité de sanctionner la détention de tabac illicite comme celle de stupéfiants".
Le rapport propose en outre qu’un délégué ministériel puisse être dédié à la mise en œuvre d’une stratégie nationale de lutte contre la contrefaçon, avec une sensibilisation à grande échelle et dès l’école aux conséquences néfastes de ce phénomène. "Toutes les solutions ne relèvent pas du domaine législatif", note Pierre-Yves Bournazel, qui appelle de ses voeux une véritable prise de conscience corrélée à une "volonté politique", à l'échelle étatique mais aussi européenne.
Le rapport des deux députés devrait être remis au Premier ministre la semaine prochaine.