Les députés Marie Lebec (Renaissance) et Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine) ont rendu les conclusions de leur mission flash sur "le champ d'application de la proposition de loi, adoptée au Sénat, encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques". Alors que ce texte concerne l'Etat, ils envisagent de légiférer aussi concernant les collectivités locales, estimant cependant que le sujet nécessite "une étude plus approfondie".
Faut-il intégrer les collectivités locales - et si oui, comment ? - au dispositif qui doit permettre de mieux encadrer le recours aux cabinets de conseil ? C'est à cette question qu'ont tenté de répondre les députés Marie Lebec (Renaissance) et Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine) : les deux députés ont rendu, mercredi 12 juillet, les conclusions de leur mission flash sur le champ d'application de la proposition de loi sénatoriale "encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques".
Ce texte, adopté par les sénateurs en première lecture, en octobre 2022, est la transcription de plusieurs préconisations issues de la très médiatique commission d'enquête du Sénat "sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques". Cette commission, dont la rapporteure était l'élue communiste Eliane Assassi, avait notamment été à l'origine, en pleine campagne présidentielle, de la polémique sur le recours de l’Etat, qu'elle avait estimé excessif, au cabinet de conseil américain McKinsey
La proposition de loi vise notamment à renforcer les obligations de transparence et fixe de nouvelles règles pour les cabinets de conseil et les administrations qui y ont recours. Si l’Etat, ses établissements publics ou encore les établissements publics de santé sont concernés par ces nouvelles dispositions, ce n'est pas le cas des collectivités territoriales.
Marie Lebec et Nicolas Sansu ont donc eu pour mission d'"évaluer la pertinence d'une potentielle extension du champ du texte" à ces collectivités. Mais les deux députés ont constaté qu'ils ne pouvaient pas, à ce stade, se prononcer en pleine connaissance de cause sur le sujet : "Nous avons rapidement constaté qu'aucune donnée suffisamment précise n'était disponible concernant le montant global des prestations de conseil achetées par les collectivités locales", a expliqué mercredi Nicolas Sansu. A l'issue de leur mission flash, les deux élus demandent donc "la réalisation d'une étude complémentaire" qui pourrait être effectuée par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale.
Dans la communication résultant de leur mission, Marie Lebec et Nicolas Sansu publient les données transmises par les services du ministère de l'Economie : le marché du conseil aux élus locaux serait passé de 353 millions d'euros en 2019 à 557 millions d'euros en 2021. Des chiffres basés sur les données disponibles qui sont "à interpréter avec une très grande prudence", indiquent les deux députés, qui les jugent "probablement" très inférieurs à la réalité.
"L'encadrement des prestations de conseils par les collectivités locales gagnerait à être renforcé mais l'extension systématique de l'ensemble des dispositions du texte [du Sénat] ne semble pas efficiente", a expliqué Nicolas Sansu. Le risque serait de "créer une charge administrative excessive" pour les administrations locales. Ce serait notamment le cas de l'obligation de publier des "évaluations détaillées" concernant les prestations réalisées par des cabinets de conseil. Des seuils relatifs au nombre d'habitants de la collectivité (100.000 habitants, par exemple) ou au montant du marché pourraient donc être fixés.
Adopté depuis le 18 octobre 2022 par les sénateurs, la proposition de loi n'est toujours pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée. "Dans un souci de cohérence législative (...) je pense que c'est important de garder un texte unifié", a considéré Marie Lebec, lors de la conférence de presse organisée par les deux députés. En clair, la majorité souhaite intégrer les dispositions relatives aux collectivités locales dans le texte sénatorial, quitte à repousser son examen.
Une hypothèse qui inquiète Nicolas Sansu : le député communiste préfèrerait que la proposition de loi du Sénat soit examinée dès décembre prochain. Les dispositions relatives aux collectivités seraient examinées dans un second temps, dans un texte ad hoc. "Il y a une inquiétude, celle que l'idée d'intégrer tout de suite la questions des collectivités locales dans la proposition de loi existante ne serve qu'à repousser - et à terme enterrer - le sujet", s'est inquiété le député.
Un point de vue partagé par Thomas Ménagé (Rassemblement national), qui a estimé que l'Assemblée ne peut pas "procrastiner sur ce dossier" sur un sujet destiné à "recréer le lien de confiance avec les citoyens". Philippe Gosselin (Les Républicains) s'est lui aussi prononcé pour un examen rapide du texte : "On risque d'attendre un certain temps, un peu comme Godot, mais vous savez qu'à la fin de la pièce Godot ne vient pas."
Marie Lebec et Nicolas Sansu ont rendu leurs conclusions deux jours après la publication d'un rapport de la Cour des comptes, qui a relevé un triplement des dépenses de recours à des cabinets de conseil par l’Etat entre 2017 et 2021. De 11 millions d'euros en 2014, elles sont passées à 100 millions en 2018, à 230 millions en 2021, avant un tassement à 200 millions d'euros en 2022. "Faute d’un pilotage unique et d’outils de suivi adaptés, l’Etat ne s’est pas mis en situation de conduire une politique cohérente et maîtrisée de recours à des prestations externes", écrit la Cour des comptes.
Face à ce constat, Marie Lebec (Renaissance) a tenu à défendre l'action de l'exécutif. "Il y a déjà un certain nombre de mesures qui ont été prises, ce qui démontre la volonté du gouvernement d'approfondir le sujet et de mieux maitriser sa dépense", a souligné la députée. Au début de l'année 2022, l'ancien Premier ministre, Jean Castex, avait en effet pris une circulaire afin de limiter le recours aux cabinets de conseil.
Le gouvernement a également annexé au projet de loi de finances 2023 un document destiné à préciser les sommes engagées par l’Etat lors de son recours aux consultants. "La publication [de ce document] a permis de souligner une baisse significative des dépenses de près de 35%", a expliqué Marie Lebec. "Il faut que nous challengions encore le gouvernement pour que la dépense continue de baisser", a ajouté la députée Renaissance.
Des statistiques qui n'ont pas suffi à convaincre Nicolas Sansu : "Il ne faudrait pas que le gouvernement ait la tentation d'enterrer ça en disant 'on a fait la circulaire du 19 janvier 2022, on a donné des ordres à nos administrations de diminuer, on a mis en place des achats groupés donc tout va bien'. Non tout ne va pas bien." L'élu communiste estime que le fait de "faire tomber dans les limbes" la proposition de loi sénatoriale ne "serait pas très bon pour la démocratie", "pour le Parlement" et "pour la République".