C'est un débat essentiel pour le pays et décisif pour le gouvernement qui s'engagera, ce lundi 21 octobre au soir, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale : l'examen du projet de loi de finances pour l'année prochaine. Sans véritable majorité au Palais-Bourbon, les discussions budgétaires s'annoncent particulièrement intenses et incertaines. L'ombre du 49.3 plane déjà sur l'Assemblée. Quels sont les scénarios possibles ?
Largement réécrite, puis... rejetée. Après quatre jours de débats, au cours desquels les recettes fiscales ont été fortement augmentées par rapport à la copie initiale du gouvernement, la première partie du budget 2025 a été rejetée, samedi 19 octobre, par la commission des finances de l'Assemblée nationale.
Comme un tour de chauffe avant le coup d'envoi de l'examen dans l'hémicycle de la version initiale du projet de loi de finances (PLF) pour l'année prochaine qui aura lieu ce lundi 21 octobre à 21h30. Sans véritable majorité au Palais-Bourbon, les débats sur le texte et son adoption relèveront de la mission à haut risque pour le gouvernement.
A l'issue des travaux en commission des finances, le budget présenté la semaine précédente par les ministres Antoine Armand (Economie et Finances) et Laurent Saint-Martin (Budget et Comptes publics) avait vu son équilibre financier bouleversé : articles clés supprimés, amendements à plusieurs milliards d'euros adoptés... De nombreuses mesures ont été adoptées, souvent à l'initiative du Nouveau Front populaire, mais aussi parfois à l'initiative des Démocrates, voire de la Droite républicaine, qui font partie du socle gouvernemental, et plusieurs fois avec le renfort du Rassemblement national.
Une réécriture finalement balayée par le rejet du texte (29 voix contre 22). Se félicitant d'un budget amendé faisant, selon eux, œuvre de "justice sociale et fiscale", les groupes de gauche ont voté "pour" le texte modifié en commission. Tandis que les autres groupes ont voté "contre". Le groupes du socle gouvernemental, Ensemble pour la République en tête, dénonçant ce qui était devenu à leurs yeux un "budget Frankenstein" reposant sur une "boucherie fiscale". Critiquant un texte sans ligne, le groupe Rassemblement national a, quant à lui, dit vouloir sanctionner "l'attitude du gouvernement et des partis de la majorité qui (...) ne veulent rien négocier".
Samedi, après le rejet du texte, le président de la commission des finances, Eric Coquerel (la France insoumise), a salué le travail effectué qui permettrait, a-t-il indiqué la création de "nouvelles recettes, dont le montant total est estimé approximativement à 60 milliards d’euros en taxant les très riches et les grandes entreprises au profit des classes populaires et moyennes". Au contraire, le ministre du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin a fustigé un "matraquage fiscal" à la fois "inacceptable" et "irresponsable", qui impacterait "tous les Français de classe moyenne, comme nos petites entreprises".
Confronté à des oppositions qui peuvent le mettre en minorité à tout moment et soutenu par un "socle commun" (ex-majorité présidentielle et droite) qui n'est pas prêt à voter le projet de loi de finances sans modifications, le gouvernement s'engage, ce lundi, au mieux dans une course d'obstacles, au pire dans une mission impossible. Dans ce contexte, les débats de fond seront bien sûr essentiels, mais les questions de procédure joueront, en outre, un rôle stratégique.
Depuis plusieurs jours, tous les scénarios circulent à l'Assemblée nationale. Des plus incertains aux plus inédits, en passant par les plus vraisemblables. Le vote d'une motion de rejet préalable dès coup d'envoi des débats semble plus qu'improbable, car il aurait pour effet d'envoyer directement le budget au Sénat, sans possibilité pour les oppositions de le modifier comme elles l'ont fait en commission. Dimanche sur BFMTV, Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national) a d'ailleurs annoncé que son groupe "ne votera pas la motion de rejet" que La France insoumise indiquait, en fin de semaine dernière, vouloir défendre. Une réflexion sur l'opportunité de présenter une telle motion semble cependant encore en cours.
Au Palais-Bourbon, certains regardent, par ailleurs, avec attention l'article 47 de la Constitution, qui fixe notamment des délais précis pour l'examen du projet de loi de finances à l'Assemblée (40 jours en première lecture à compter du dépôt de l'ensemble des documents liés à l'examen du texte) avant son passage au Sénat, et qui prévoit la possibilité d'une application par ordonnance si le Parlement ne s'est pas prononcé définitivement au bout de 70 jours, afin de faire en sorte que la France puisse avoir un budget qui s'applique au 1er janvier. Un délai constitutionnel qui expirera, cette année, le 21 décembre.
En cas d'impasse majeure sur le budget et de crise politique, l'article 45 de la loi organique relative aux lois de finances, qui découle de l'article 47 précédemment cité, est aussi scruté. A défaut de projet de loi de finances en bonne et due adopté par le Parlement, il autorise notamment le gouvernement à présenter un "projet de loi spéciale" visant à permettre à l'Etat et au pays de fonctionner en attendant le vote d'un véritable budget.
A ce stade, un vote solennel sur la partie "recettes" du PLF est programmé mardi 29 octobre à l'Assemblée nationale. Mais sauf à accepter une large réécriture de son projet, voire son rejet comme en commission, le gouvernement semble condamné à utiliser l'article 49.3 de la Constitution. Compte tenu des forces en présence au sein de la représentation nationale, Michel Barnier n'aura très certainement pas d'autre choix au bout du compte, ne serait-ce que pour une adoption définitive à l'Assemblée. Ce qui l'obligera à effectuer des arbitrages qui lui éviteront au moins le vote d'une motion de censure. "
En cas de blocage parlementaire, retarder l'adoption du budget pourrait paralyser l'action publique, compromettre la gestion des finances de l'Etat et mettre en danger la crédibilité financière de la France. Le 49.3 permet d'éviter un blocage. Michel Barnier
Quelle que soit l'issue des débats en première lecture au Palais-Bourbon, le Premier ministre peut espérer obtenir un compromis lors de la commission mixte paritaire composée de députés et de sénateurs qui se réunira après un examen du projet de loi de finances dans chaque Chambre du Parlement. Un tel accord permettrait au gouvernement de s'épargner une nouvelle lecture du budget en tant que tel. C'est en effet le texte de l'accord qui serait alors soumis au Parlement, ce qui - faute de pouvoir envisager un vote favorable des oppositions - passerait inévitablement par un 49.3 à l'Assemblée nationale. Autant de scénarios envisagés qui n'épuisent pas les surprises éventuelles qui pourraient avoir lieu au cours des discussions budgétaires.
Avant les débats en première lecture, qui s'ouvriront dans l'hémicycle ce lundi soir, Laurent Saint-Martin a assuré dimanche sur France Inter vouloir "qu'il y ait du débat le plus longtemps possible", affirmant qu'il ne "souhaite absolument pas" l'utilisation du 49.3. A condition, a précisé le ministre, que les discussions parlementaires respectent l'objectif de redressement des comptes publics et cela soit fait de "façon raisonnable en termes de proportions entre la baisse de la dépense et les impôts". Il est fort probable, même indéniable, que le mécanisme d'adoption du budget passera par un 49.3", a quant à elle estimé, ce week-end sur Franceinfo, la vice-présidente de la commission des finances, Véronique Louwagie (Droite républicaine) sur Franceinfo.
En tout état de cause, dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le Premier ministre a déjà prévenu : "En cas de blocage parlementaire, retarder l'adoption du budget pourrait paralyser l'action publique, compromettre la gestion des finances de l'Etat et mettre en danger la crédibilité financière de la France. Le 49.3 permet ainsi d'éviter un blocage". Une façon de dire que sa main ne tremblera pas.