Le Conseil des ministres a autorisé, mercredi 23 octobre, le principe d'un recours éventuel au 49.3 sur le projet de loi de finances, si et quand Michel Barnier le jugera nécessaire. Cet outil constitutionnel permet l'adoption d'un texte sans vote à l'Assemblée nationale, sauf dépôt d'une motion de censure qui est alors débattue et mise aux voix. Mais, dans un premier temps au moins, le gouvernement pourrait choisir une autre stratégie : laisser les députés voter, quitte à ce que le budget soit rejeté en première lecture, et réserver le 49.3 pour l'adoption finale du projet de loi de finances. Explications.
Ce serait inédit. Et si, malgré l'absence de véritable majorité à l'Assemblée nationale, le gouvernement décidait de ne pas recourir à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution en première lecture du budget 2025 et acceptait l'idée de voir la partie "recettes" largement remaniée, puis éventuellement rejetée lors d'un vote dans l'hémicycle, comme cela a été le cas en commission des finances samedi 19 octobre ?
Parmi les scénarios qui circulent, le plus répandu et le plus évident jusqu'à preuve du contraire est que - après avoir laissé du temps au débat au Palais-Bourbon, constatant que les équilibres initiaux du projet de loi de finances (PLF) ne sont plus respectés - le Premier ministre annonce le déclenchement du 49.3. Mais depuis quelques jours, des cabinets ministériels au couloirs de l'Assemblée, une autre hypothèse fait l'objet d'une réflexion. Selon les informations de LCP, l'idée serait de laisser les députés débattre de la partie "recettes" du budget, actuellement en cours d'examen dans l'hémicycle, jusqu'au bout puis voter "pour" ou "contre", quitte à ce que le projet du gouvernement soit largement modifié, puis rejeté.
Si la partie "recettes" était adoptée, les députés étudieraient ensuite la partie "dépenses". Puis, comme le prévoit la procédure classique, les deux parties seraient examinées au Sénat. En revanche, si la première partie du projet de loi de finances était rejetée par les députés, la deuxième partie ne serait même pas examinée à l'Assemblée. En effet : sans recettes, pas de dépenses... C'est alors l'ensemble du PLF qui serait directement envoyé au Sénat. Dans les deux cas, cette stratégie permettrait notamment au Premier ministre d'éviter d'avoir à multiplier les 49.3. Inconvénient : le gouvernement risquerait de voir son budget malmené par les oppositions au point sans doute, comme en commission, d'obliger les groupes qui le soutiennent à la rejeter. Avantage : cela éviterait à Michel Barnier d'être confronté aux motions de censure à répétition qui ne manqueraient pas d'être déposées par le Nouveau Front populaire au fil des 49.3, ce qui le placerait à chaque fois le Premier ministre sous la menace du Rassemblement national.
Ces deux dernières années, sans majorité absolue à l'Assemblée et sans majorité au Sénat, Elisabeth Borne avait été contrainte d'utiliser le 49.3 sur le budget cinq fois en 2023 et cinq fois en 2024. L'ex-Première ministre ne pouvait en effet compter ni sur la possibilité de faire voter son texte par les députés, ni sur la possibilité d'obtenir un accord entre les deux Chambres qui avaient des majorités différentes (majorité présidentielle d'un côté, majorité de droite et du centre de l'autre). Or la procédure législative budgétaire prévoit qu'en première lecture, la partie "recettes" et la partie "dépenses" sont examinées séparément ce qui nécessite deux votes distincts ou deux 49.3 à l'Assemblée. Idem en nouvelle lecture quand l'Assemblée et le Sénat ne se sont pas mis d'accord sur un texte commun. Enfin, en dernière lecture, lorsque que la décision finale revient à l'Assemblée, les deux parties sont discutées en bloc et font donc l'objet d'un seul vote ou d'un seul 49.3. D'où cinq 49.3 potentiels sur l'ensemble de la séquence budgétaire. Ce qui, outre les motions de censure, avait valu à l'ancienne cheffe du gouvernement autant d'accusations de "déni de démocratie" de la part des oppositions que d'utilisations de cet outil constitutionnel.
Alors, l'actuel Premier ministre choisira-t-il d'aller au vote en première lecture ? L'hypothèse semble d'autant plus envisageable que, contrairement à Elisabeth Borne, Michel Barnier peut compter sur un accord entre l'Assemblée nationale et le Sénat. En effet, si sa situation au Palais-Bourbon est plus fragile encore que celle de l'ex-Première ministre, il dispose en revanche d'une majorité au Palais du Luxembourg. Ce qui constituera un grand avantage lorsque - après une lecture du budget dans chaque Chambre du Parlement - l'actuel locataire de Matignon pourra déclencher la réunion d'une commission mixte paritaire (CMP). Composée de sept députés et de sept sénateurs, il s'agit d'une instance de conciliation qui a pour objectif d'essayer de trouver un accord entre l'Assemblée et le Sénat. Or compte tenu des forces qui le soutiennent, le gouvernement de Michel Barnier aura, le plus souvent, l'avantage sur les oppositions lors de la réunion d'une CMP. Et pourra donc miser sur l'élaboration d'un accord qui conviendrait au gouvernement.
Une fois franchie cette étape, si un accord est trouvé, pas besoin de nouvelle lecture du projet de loi de finances en tant que tel dans chacune des Chambres. C'est alors le compromis élaboré en commission mixte paritaire qui serait soumis au Parlement. Un accord qui serait sans aucun doute validé par le Sénat. Resterait alors à le faire valider par l'Assemblée nationale pour que le budget soit définitivement adopté. Sans véritable majorité au Palais-Bourbon, c'est à ce moment-là que le Premier ministre serait amené à recourir au 49.3. A charge pour le gouvernement est les groupes politiques qui le soutiennent au Parlement d'avoir effectué les arbitrages nécessaires en CMP pour éviter l'adoption d'une motion de censure. Et réussir ainsi à faire passer le budget 2025.
A ce stade rien n'est tranché. Et au sein des groupes du socle gouvernemental, des élus plaident pour un 49.3 dès l'examen de la partie "recettes" du PLF, dont débattent cette semaine les députés dans l'hémicycle. Mais selon nos informations, l'hypothèse d'aller au vote en première lecture et de réserver le 49.3 pour la toute fin de la séquence budgétaire fait bel et bien partie des scénarios envisageables et envisagés par le gouvernement. A l'Assemblée nationale comme au Sénat, des élus du "socle commun" de Michel Barnier commencent d'ailleurs à considérer avec attention, voire intérêt, cette hypothèse, qui de sources parlementaires fait partie de "l'éventail des possibilités".