40 propositions pour mieux assurer le respect de la présomption d'innocence

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Elisabeth Guigou
par Soizic BONVARLET, le Mercredi 8 décembre 2021 à 13:31, mis à jour le Mercredi 8 décembre 2021 à 15:26

L’ex-ministre de la Justice et présidente du groupe de travail sur la présomption d’innocence, Elisabeth Guigou, a été auditionnée mercredi 8 décembre par la commission des lois. L'ancienne garde des Sceaux du gouvernement Jospin est revenue sur les constats et les propositions formulés par son rapport rendu en octobre dernier et intitulé : La présomption d’innocence : un défi pour l’État de droit.

"Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie". Ce principe juridique consacré dans le Code civil, a été réaffirmé dans la loi du 15 juin 2000, à l'initiative d'Elisabeth Guigou, ministre de la Justice au sein du gouvernement de Lionel Jospin, "renforçant la protection de la présomption d'innocence et le droit des victimes".

Pourtant, la surmédiatisation de certaines affaires judiciaires, tout comme l’essor des réseaux sociaux, ont pu conduire à s’interroger sur la permanence du respect de ce principe au cours des dernières années. C’est pourquoi l’actuel garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a en avril dernier missionné l’une de ses prédécesseures Place Vendôme, Elisabeth Guigou, pour constituer un groupe de travail sur le sujet. Ses treize membres, parmi lesquels des magistrats, des avocats et des journalistes, ont procédé à plus de 80 auditions. Leur rapport, rendu le 14 octobre 2021, a pour vocation de nourrir les réflexions engagées dans le cadre des États généraux de la Justice, lancés par Emmanuel Macron quelques jours plus tard.

Elisabeth Guigou l’a rappelé, la présomption d’innocence est "un principe formellement reconnu, qui a valeur constitutionnelle en France, et qui pourtant n’est pas un principe absolu, parce qu’il doit être en permanence concilié avec d’autres principes d’égale valeur que sont la liberté d’expression, les droits des victimes et de la défense". Devenu cependant le "principe cardinal de la procédure pénale" depuis la loi  qu’elle avait elle-même portée, il y a une vingtaine d’années, elle formule 40 propositions pour le préserver, et parer notamment au "risque réputationnel" résultant de sa violation.

Sensibiliser les citoyens aux grands principes du droit

Le premier axe des conclusions du groupe de travail est celui de la prévention. Le rapport souligne l’importance de l’éducation au droit, et ce à destination de l’ensemble des citoyens, au travers notamment de l'animation du débat public. Par ailleurs, Elisabeth Guigou a rappelé la nécessité de renforcer la formation des acteurs de l’institution judiciaire, durant les études, puis tout au long de la formation continue.

"Nous avons pu constater que le problème de l’enseignement du droit, est que les compartiments du droit sont très cloisonnés", a ainsi déclaré l’ex-ministre de la Justice, "et qu’il y a peu d’éducation transversale à l’ensemble des grands principes de l’État de droit, et encore moins, spécifiquement à la présomption d’innocence, qui fait l’objet, même en master 2, de très peu d’enseignements". Elisabeth Guigou plaide également pour un renforcement de l’enseignement du droit au sein des écoles de journalisme, et pour le développement des partenariats entre ministère de la Justice, Éducation nationale et formations judiciaires.

Rendre l’action de la Justice plus visible

"Faire en sorte que la Justice puisse mieux communiquer", est également l’une des pistes majeures développées à la suite des travaux menés sous l’égide d’Elisabeth Guigou. "Les membres de l’institution judiciaire craignent de communiquer", a-t-elle fait remarquer, un phénomène lié à la nature même du métier, en raison notamment de la prépondérance du secret de l’instruction. L'ancienne ministre prône aussi, "dans chaque cour d’appel, une équipe de deux magistrats dédiés à la communication".

"Toutes les recommandations posent de façon récurrente et lancinante la question des moyens de la Justice", a-t-elle par ailleurs ajouté, "nous continuons à avoir deux fois moins de magistrats qu'en Allemagne, par exemple".

Sanctionner davantage les atteintes à la présomption d’innocence, notamment sur Internet

Alors qu’il existe des chartes éthiques dans la presse, les réseaux sociaux constituent pour Elisabeth Guigou "le principal problème aujourd’hui", en raison de l’ "utilisation de la rumeur", et de l’absence totale de régulation en la matière.

Pour Basile Ader, avocat et membre du groupe de travail, également auditionné par les députés, "les réseaux sociaux se nourrissant du scandale", il s’agit de trouver le moyen d’endiguer ce phénomène délétère en sanctionnant les plateformes. Si l’avocat n’hésite pas à suggérer de "taper au portefeuille", Elisabeth Guigou estime que la solution sera européenne, au travers notamment du Digital Services Act (DSA), qui devrait être adopté dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.

L’ancienne garde des Sceaux a enfin évoqué le poids des mots, soulignant en particulier l’invalidité juridique de l’expression "présumé coupable" pour parler d'un "suspect", et préférant le terme de "plaignant" à celui de "victime", en tout cas avant que décision de justice ne soit rendue.