Les députés ont adopté en première lecture, ce mercredi 29 janvier, la proposition de loi transpartisane visant à "restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls professionnels à partir de 2026. Le texte, porté par Idir Boumertit (La France insoumise), a pour objectif de lutter contre l'usage détourné de ce "gaz hilarant", notamment par les jeunes, en raison de graves risques pour la santé.
Qui n'a jamais vu, abandonnés dans la rue, ces étranges petits contenants cylindriques argentés ? Ce sont les traces d'un usage détourné de cartouches de protoxyde d'azote, notamment utilisées pour les siphons à chantilly. Un gaz aux effets euphorisants, très populaire dans les milieux festifs, et particulièrement prisé des jeunes.
Sauf que le N20 n'a pas que ce "gaz hilarant" n'a rien de drôle : asphyxie par manque d’oxygène, perte de connaissance, brûlure par le froid du gaz expulsé, désorientation, vertiges, chutes... En cas de consommation répétée, l'usager s'expose même à des complications sévères, parfois irréversibles : dépendance, atteintes neurologiques, troubles de la marche, incontinence, troubles psychiatriques, voire atteintes cardiaques et troubles de la fertilité.
Autant dire que la forte augmentation de son usage de façon détournée, notamment par chez les adolescents et les jeunes adultes, inquiète particulièrement la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). En 2017, un étudiant sur quatre avait déjà consommé du "proto". Le problème est bien connu des élus locaux : plusieurs municipalités ont par le passé décidé d'interdire purement et simplement la vente, la détention et l'utilisation du protoxyde d'azote sur la voie publique.
Une interdiction que l'Assemblée nationale compte bien généraliser à l'ensemble du territoire national. "Nous sommes aujourd'hui face à un problème majeur de santé publique à grande échelle", a alerté Idir Boumertit (La France insoumise), auteur de la proposition de loi "visant à restreindre la vente de protoxyde d’azote aux seuls professionnels et à renforcer les actions de prévention sur les consommations détournées". Le texte, co-signé par de nombreux députés issus du Nouveau Front populaire, mais aussi par quelques élus des trois groupes de la coalition présidentielle, du groupe LIOT ou encore de la Droite républicaine, a été adopté en première lecture, ce mercredi 29 janvier, par 90 voix contre 2.
La loi du 1er juin 2021 avait déjà, en théorie, interdit la vente de "proto" aux mineurs, ainsi que dans les bureaux de tabac et les débits de boissons. Mais il reste en vente libre dans les grandes surfaces et sur internet, et, de fait, il est aisé de contourner cette interdiction, ont souligné plusieurs députés, et ce malgré les amendes élevées prévues par le code de santé publique. Utilisé dans le secteur médical, comme analgésique, et dans le domaine culinaire, avec les cartouches pour siphon à chantilly, "le protoxyde d'azote est aujourd'hui la troisième substance la plus consommée, après le tabac et l'alcool", a souligné Idir Boumertit, s'appuyant sur les données de la Préfecture de police de Paris.
La proposition de loi propose donc de passer à l'étape supérieure, en restreignant la vente et l'importation de cartouches de protoxyde d'azote aux seuls professionnels. Un décret pris ultérieurement viendra déterminer les catégories professionnelles qui pourront s'en procurer, ainsi que les circuits de distribution. En séance, les députés ont repoussé l'entrée en vigueur de cette interdiction au 1er janvier 2026, afin de laisser au gouvernement le temps de mettre en place les différentes dispositions réglementaires requises.
S'il a reconnu les "risques majeurs pour la santé" de l'usage détourné de ce "gaz hilarant", le ministre chargé de la Santé a toutefois mis en garde contre le caractère "excessif" de l'initiative parlementaire, la vente étant déjà "fortement encadrée". "Une interdiction totale souffre, par ailleurs, d'une insécurité juridique importante et d'un risque d'incompatibilité au droit européen, ce qui la rendrait inapplicable, et inopposable aux tiers", a considéré Yannick Neuder. Avant d'atténuer son propos en se montrant ouvert à une co-construction sur le texte.
Sans obtenir gain de cause, plusieurs élus des groupes Les Démocrates et Ensemble pour la République ont proposé de limiter la portée de l'interdiction, en autorisant la vente de petites cartouches, en quantités restreintes, aux particuliers. "Ce n'est pas parce qu'il existe un usage détourné du protoxyde qu'il faut interdire son usage à l'ensemble des Français", a estimé Laurent Croizier (Les Démocrates). "Nous ne souhaitons pas punir les Français qui l'utilisent à bon escient et sans le moindre danger."
La proposition de loi a cependant convaincu un large spectre de l'hémicycle. Le groupe Droite républicaine, notamment, n'a pas caché sa satisfaction, tout en appelant à aller plus loin, en inscrivant le protoxyde d'azote sur la liste des stupéfiants ou en pénalisant son usage récréatif. "Nous regrettons l'absence d'un volet répressif dans le texte", a soutenu Virginie Duby-Muller (DR). Aucun amendement en ce sens n'a toutefois été adopté, malgré les nombreuses créations d'infractions proposées par la droite et par la coalition présidentielle.
La proposition de loi comporte, en outre, un second axe, centré sur la prévention. "Les citoyens ne connaissent que trop peu les risques du protoxyde d'azote", a souligné le rapporteur. Le texte prévoit donc que des "actions de sensibilisation" pourront être déployées afin de dissuader les collégiens et lycéens, à la manière de ce qui est déjà fait pour la consommation de cannabis. En 2021, pas moins de 5,5 % des élèves de classe de troisième disaient avoir déjà consommé du "proto", selon une enquête de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Sur le volet de la prévention, la proposition de loi a fait l'unanimité. L'ensemble du texte va désormais être transmis au Sénat, où il poursuivra son parcours législatif.