Cabinets de conseil privés : examen d'une proposition de loi "encadrant" leur intervention dans les politiques publiques

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Image d'illustration. Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Image d'illustration. Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
par Maxence Kagni, le Mardi 23 janvier 2024 à 19:57

Quinze mois après son adoption par le Sénat, la proposition de loi "encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques" sera examinée, mercredi 24 janvier, par la commission des lois de l'Assemblée nationale, avant d'être débattue dans l'hémicycle au cours de la semaine du 29 janvier. Le texte, qui propose de renforcer les pouvoirs à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), prévoit aussi d'encadrer les "allers-retours" de personnels entre administration et cabinets privés.

La commission des lois de l'Assemblée nationale étudiera, ce mercredi 24 janvier, la proposition de loi sénatoriale "encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques". Ce texte, adopté au Sénat en première lecture le 18 octobre 2022, met en œuvre les recommandations du rapport de la très médiatisée commission d'enquête parlementaire sur "l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques". La proposition de loi prévoit notamment d'octroyer de nouveaux pouvoirs à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Menée par la sénatrice Eliane Asassi (Communiste) et son collègue Arnaud Bazin (Les Républicains), la commission d'enquête avait été à l'origine, en pleine campagne présidentielle, de la polémique sur le recours par l’Etat au cabinet de conseil américain McKinsey. Dans son rapport, publié en mars 2022, Eliane Asassi dénonçait un "phénomène tentaculaire". Selon elle, "l'Etat et ses opérateurs ont dépensé plus d'un milliard d'euros en prestations de conseil en 2021, ces dépenses ayant plus que doublé depuis 2018".

Le recours "tous azimuts" aux consultants appelle à des mesures fortes pour que l'État reprenne le contrôle de ses politiques publiques. Exposé des motifs du texte

Pour sa part,  la Cour des comptes a épinglé, en juillet 2023, un triplement des dépenses de recours à des cabinets de conseil par l’Etat entre 2017 et 2021. De 11 millions d'euros en 2014, elles sont passées à 100 millions en 2018 et à 230 millions en 2021, avant un tassement à 200 millions d'euros en 2022. Dans ce contexte, la proposition adoptée au Sénat en octobre 2022 avait pour but de "renforcer l'encadrement des prestations et de les rendre plus transparentes". Désormais, le texte poursuit donc son parcours législatif à l'Assemblée.

"En finir avec l'opacité"

Le texte propose dans un premier temps d'"en finir avec l'opacité des prestations de conseil". Ainsi, les cabinets de conseil et les consultants n'auront plus le droit d'utiliser les "signes distinctifs" de l'administration sur "les documents qu'ils produisent". Par ailleurs, tout document rédigé avec la participation de consultants devra porter une mention spécifique. Si la proposition de loi est définitivement adoptée, le gouvernement devra également remettre au Parlement un rapport annuel sur le recours aux cabinets de conseil comprenant la liste des prestations réalisées au cours des cinq dernières années.

Le texte interdit, en outre, les prestations de conseil à titre gracieux, sauf dans des cas spécifiques, comme lorsqu'il s'agit, par exemple, de fondations reconnues d'utilité publique. Ces prestations pro bono permettent en effet aux cabinets de "renforcer leur réseau de clientèle" et de "se rendre indispensables aux yeux de l’administration et du politique", expliquent les auteurs de la proposition de loi. 

Les consultants auront pour obligation, avant chaque prestation de conseil, d'adresser à l'administration bénéficiaire une déclaration d'intérêts. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui sera chargée de "s'assurer du respect des règles déontologiques", pourra s'auto-saisir, mais aussi "procéder à des vérifications sur place". Et elle pourra prononcer des sanctions administratives pouvant aller jusqu'à 15 000 euros par manquement constaté pour les personnes physiques.

Le texte prévoit également que la HATVP encadrera les "allers-retours" entre les administrations et les cabinets de conseil. Par ailleurs, les cabinets de conseil devront "employer la langue française dans leurs échanges avec l'administration".

Un texte amené à évoluer

La publication en mars 2022 du rapport de la commission d'enquête sénatoriale avait poussé le gouvernement à réagir. En juillet 2022, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini avait annoncé un plafonnement des missions de conseil confiées par l’Etat à des cabinets privés à deux millions d'euros par projet. Le gouvernement avait également promis de publier chaque année une synthèse de "toutes les commandes passées par l’Etat". 

Des annonces s'ajoutant à la décision de l'ancien Premier ministre, Jean Castex, de prendre, au début de l'année 2022, une circulaire afin de limiter le recours aux cabinets de conseil. Les dépenses de conseil ont en conséquence largement baissé ces dernières années, selon Les Echos. Le montant des dépenses de l’État (hors conseil informatique) sont ainsi passées de 235 millions d'euros en 2021 à 156,3 millions d'euros en 2021.

"L’Etat a baissé ses dépenses parce qu'il y avait la menace de la loi", estime auprès de LCP Nicolas Sansu (Gauche démocrate et républicaine), co-rapporteur du texte à l'Assemblée. "Je pense que la tentation peut revenir très vite", souligne cependant le député communiste. Avant l'examen du texte en commission, il indique que le texte devrait être modifié à la marge : "On va par exemple enlever les petits établissements publics du champ d'application de la loi, mais aussi les petits musées nationaux."  "Le texte reste nécessaire car il y a encore des zones d'ombres" explique, quant à lui, l'autre co-rapporteur, Bruno Millienne (Démocrate). Le député MoDem juge toutefois nécessaire de "préciser les choses", afin de rendre l'application de la proposition de loi "moins large" que prévu par le Sénat, sans pour autant "changer l'esprit du texte".

Les deux députés solliciteront par voie d'amendement un rapport du gouvernement sur la nécessité d'intégrer, ou non, les collectivités locales dans le champ de cette loi. Le gouvernement avait tenté - sans succès - d'intégrer les collectivités au dispositif lors du passage du texte au Sénat. "C'est impossible de faire les choses correctement dans le temps imparti", considère Bruno Millienne. "C'est infaisable en l'état", abonde Nicolas Sansu, qui redoute un "engorgement" des services, notamment de la HATVP. Le député GDR y est d'autant plus "défavorable" qu'il souhaite "rester le plus près possible de ce qui est sorti du Sénat".