Les députés de la commission de la Défense nationale et des Forces armées ont examiné ce mercredi un rapport d'information sur l'opération Barkhane, menée au Sahel depuis août 2014. Sereine Mauborgne (LaREM) et Nathalie Serre (LR) ont dépeint une opération complexe, confrontée à de nombreux défis. Elles ont défendu le bilan de Barkhane, tout en évoquant de nécessaires évolutions.
Sept ans après le début de l'opération Barkhane, quel bilan tirer de la lutte contre les groupes terroristes au Sahel ? Telle est la question à laquelle ont tenté de répondre Sereine Mauborgne (La République en marche) et Nathalie Serre (Les Républicains), dans un rapport d'information présenté mercredi 14 avril devant la commission de la Défense nationale.
Depuis le déploiement de cette opération en août 2014, 57 soldats français ont perdu la vie, dont 51 au cours d'affrontements avec les groupes terroristes. A l'heure actuelle, Barkhane mobilise quelque 5 100 militaires français chargés de collaborer avec les forces sahéliennes et occidentales.
Pour les co-rapporteures, le bilan de l'opération est "incontestablement positif", et il n'est pas question d'y mettre fin dans les mois qui viennent. "Barkhane reste indispensable", a déclaré Sereine Mauborgne, pour qui la "stabilisation du Sahel prendra de nombreuses années". Il s'agit notamment d'accompagner l'affermissement des forces locales dans la zone.
Pour autant, Barkhane ne doit pas être figée dans sa forme actuelle : l'opération pourrait ainsi changer de nom, et évoluer vers un "dispositif de coopération structurelle régionale" au cours de l'été. Au-delà d'identifier certains axes d'évolution, Sereine Mauborgne a plaidé pour rendre l'opération "plus visible", jugeant ses finalités méconnues. À ce titre, elle a souhaité que le rapport de la mission d'information contienne une dimension pédagogique.
Les élues ont notamment identifié plusieurs "défis" auxquels l'opération Barkhane doit faire face. Pour Nathalie Serre, la menace terroriste "demeure vive", notamment grâce aux capacités de regénération des groupes terroristes en présence : le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaïda, et la branche de l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). En outre, la mission a souligné les défis causés par la durée de l'opération, évoquant les accusations "d'enlisement" dont elle fait l'objet, mais également "certaines fragilités capacitaires" des armées.
Par ailleurs, les élus ont alerté contre la "guerre informationnelle toujours plus intense" sur le front. "Au-delà, Barkhane demeure méconnue et mal comprise aussi bien en Sahel qu'en France", a relevé Nathalie Serre. Pour la députée, c'est le positionnement de l'opération qui fait l'objet d'une incompréhension. Ainsi, l'opération n'est pas l'alpha et l'oméga de la réponse à la déstabilisation de la zone, mais l'un de ses piliers. Elle doit nécessairement s'accompagner de lutte contre les rivalités communautaires, contre la corruption et de politiques environnementales.
S'opposant à une levée de l'opération, les co-rapporteures ont toutefois estimé que celle-ci devrait connaître des évolutions. Elles ont notamment plaidé pour sa "sahélisation", jugée trop faible à l'heure actuelle. Il s'agit de poursuivre la montée en puissance des forces locales, afin de prévoir, à terme, un passage de relais, notamment avec l'armée malienne. Elles ont également jugé nécessaire de renforcer l'internationalisation du conflit. Sereine Mauborgne a ainsi évoqué une force onusienne "au milieu du gué", hésitant à basculer dans l'imposition de la paix dans le centre du Mali, ou encore sur l'engagement des partenaires américain et européen.
Les élues ont par ailleurs soulevé un point "particulièrement sensible" : celui des exactions commises par les forces africaines sur les populations civiles. La lutte contre de tels actes doit devenir "le point cardinal" de l'opération Barkhane et des forces occidentales, a soutenu Sereine Mauborgne. Cette dernière, appelant à la fin de "l'impunité", a ainsi fait part du viol de trois femmes commis au Niger par des militaires tchadiens, ou encore la "centaine d'exécutions sommaires" décidées par certains soldats maliens au printemps 2020.
Pour les co-rapporteures, ce pan militaire doit se doubler d'un sursaut civil. Nathalie Serre a appelé à aller au-delà de l'accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé entre le gouvernement et les forces rebelles en 2015, mais jugé dépassé et critiqué par la population. La députée LR a posé la question d'un "nouveau processus de dialogue national", en vue d'un accord de sécurité plus global.
Surtout, l'élue a évoqué l'hypothèse de négociations avec les groupes terroristes. Rappelant la position opposée de la France à une telle évolution, Nathalie Serre a toutefois estimé que ces négociations seraient à terme "inévitables", car souhaitées par les populations et gouvernements locaux. La députée a apellé à anticiper leur tenue afin d'éviter que les discussions soient entamées à l'insu de la France. Cela pourrait permettre, selon elle, de déterminer avec les forces locales des "lignes rouges" à ne pas franchir, comme l'intégrité du territoire malien ou la liberté religieuse, mais également de retarder ces discussions le temps de neutraliser les chefs terroristes.
Parmi les participants, Bastien Lachaud (LFI) s'est fait le plus critique du bilan de l'opération Barkhane. S'il a voté en faveur de la publication du rapport d'information, l'insoumis a toutefois manifesté son opposition aux conclusions du document, et à un bilan de l'opération qui serait "incontestablement positif". "L'idée du retrait de nos troupes devrait être au cœur du rapport", a-t-il indiqué.
Notre objectif doit être d'organiser de façon méthodique et progressive, en concertation avec les peuples qui ne sont jamais sérieusement consultés, le retrait des soldats français. Bastien Lachaud, député LFI
Selon lui, "la démocratie ne s'est affirmée nul part" depuis le début de Barkhane. Dans ce cadre, la pérennisation de l'opération ne sera "pas acceptée" par les populations locales, a-t-il mis en garde, estimant que "la guerre au terrorisme est une impasse et un bon prétexte à tous les régimes autoritaires".